Premier canot de notre station, il est commandé aux chantiers Augustin Normand du Havre le 24 février 1894. Construit sous le numéro 63, il fait partie de la série des 10,10 m.

Large de 2,27 m, il présente un tirant d'eau de 0,53 m à vide et déplace un poids de 2 870 kg. Comme ses 21 prédécesseurs, c'est un canot en bois à redressement spontané avec tambours, avant et arrière, surélevés. Les caisses à air sont en bois, Pour augmenter le lest, deux bandes de plomb sont placées latéralement, de chaque côté de la quille. Cette disposition améliore la stabilité et favorise donc la marche sous voiles.

Les essais sont effectués le 13 juillet 1895. L'installation dans l'abri nouvellement construit a lieu le 30 juillet 1895.

Comme nous l'avons dit précédemment, ce premier canot va porter le nom de "Marie Russe", anonyme dame russe qui a fait don à la Société Centrale de Sauvetage des Naufragés d'une somme de 64 000 E 34 000 F destinés à la caisse de secours pour les veuves, orphelins et vieillards de la famille des sauveteurs, et 30 000 F pour l'installation d'une station de sauvetage.

Si l'on se réfère aux travaux menés par Monsieur Mallet, il semble que cette généreuse dame fut l'épouse d'un officier de marine russe. En effet, en 1894, date de la mise en chantier du canot de sauvetage et de son abri, l'amitié franco-russe est à son apogée. La flotte française a été reçue à Crondstadt en 1891 et en retour, en octobre 1893, la flotte russe est reçue à Toulon, et Paris organisa pour l'amiral Avellan et ses officiers d'inoubliables fêtes qui eurent en Russie un immense retentissement.

De ce rapprochement naîtront, pour l'anecdote, le célèbre entremet "Franco-Russe", plus sérieusement les non moins célèbres emprunts russes et une coopération militaire qui trouvera son achèvement pendant la Grande Guerre.

Ce canot va effectuer 33 sorties recensées, portant assistance à 37 bateaux et sauvant d'une mort certaine 34 naufragés.

En décembre 1913, il est renvoyé au Havre pour une révision générale. Mais, en raison de l'importance des travaux, il est condamné et vendu, en avril 1914, pour la modique somme de 220 F

Les deux comptes rendus suivants illustrent dans leur simplicité, l'abnégation et le dévouement de ces hommes généreux.

Le 6 Décembre 1907, vers deux heures de l'après-midi, le sous-patron Talarmin était prévenu qu'un navire était en feu dans les parages de l'île Balanec à quelque distance d'Ouessant.
Le canot de sauvetage d'Argentan qui poile le nom de "Marie Russe" se mit en route à trois heures et arriva près du "Milos", vapeur de nationalité allemande, vers 4 h 30. A ce moment, le canot de sauvetage de Molène était déjà sur les lieux.
La partie avant du navire ne formait plus qu'un immense brasier. Douze hommes affolés par une explosion avaient quitté le navire dans une baleinière du bord ; mais les treize autres, sous la conduite du vaillant capitaine, étaient restés fermes à leur poste malgré le danger, et luttaient courageusement contre l'incendie. La moitié de ces braves dut bientôt abandonner la partie à la suite de brûlures ou de blessures ; et le canot de Molène fut chargé de les conduire au Conquet pour y recevoir les soins que nécessitait leur état.

Pendant ce temps, le feu faisait encore des progrès ; aussi le capitaine du "Milos", craignant d'être forcé d'abandonner son navire, fit comprendre par signes à l'équipage de notre canot que sa présence était absolument indispensable pour assurer le salut des huit derniers hommes restant encore à bord et parmi lesquels se trouvaient le capitaine, le second, et le mécanicien.
A 8 heures du soir, le remorqueur de l'Etat "Haleur" arriva sur les lieux et fut heureux d'utiliser le secours de notre canot pour établir les remorques. Le lendemain, 7 décembre, à 6 heures du matin, le "Laborieux" arrivait également ; cette fois encore, la "Marie Russe" aida d'une façon très active à porter les remorques d'un bâtiment à l'autre.

Sur les instances du capitaine du "Milos" et du commandant du "Laborieux", la "Marie Russe" consentit à accompagner à Brest le navire toujours en feu. Nos hommes étaient du reste très fatigués, car ils n'avaient rien pris depuis la veille et sentaient vivement la nécessité de faire sécher leurs vêtements qui étaient complètement mouillés. A 4 heures du soir, le canot arrivait péniblement à Brest.
L'équipage de la "Marie Russe" était, comme bien vous pensez, parti d'Argenton sans effets de rechange, sans vivres et sans argent. Il était donc urgent de trouver un gîte et des aliments qui furent accordés très aimablement par l'administration de la Marine. Il était du reste impossible de songer au retour, la tempête continuait à faire rage et nos hommes durent rester immobilisés à Brest, le samedi et le dimanche. Ce n'est que le lundi, qu'ils purent prendre la remorque d'un vapeur de la Compagnie Chevillotte qui les conduisit jusqu'au chenal du Four d'où ils arrivèrent à Argentan à 11 heures du soir, très fatigués et après avoir lutté contre une mer affreuse. Dans cette traversée, le canotier Provost fut blessé par un coup de mer qui lui occasionna une luxation d'épaule à la suite de laquelle il fut dans l'impossibilité de se livrer à aucun travail pendant quinze jours.
Jamais depuis la création de la station d'Argenton, la "Marie Russe" n'avait eu à supporter un temps pareil et pendant une durée aussi longue.


Patron: Talarmin Jacques.
Sous-Patron : Guéna Joseph.
Canotiers Provost Yves, Perhirin Michel,
Brénéol Achille, Denniel Ollivier,
Fily Jean, jaouen François,
Quivoron Hervé, Héliès Alexandre
ARGENTON - (FINISTERE) - 8 MARS 1911

Le 6 courant, vers 8 heures du matin, le patron du canot de sauvetage Talarmin (Jacques), se trouvait, avec son bateau de pêche chargé d'eau et de pétrole pour le phare du Four, dans les parages du Bélier, rocher isolé situé entre le phare du Four et le Brévidic, quand il apprit par son fils et un de ses matelots qu'un bateau de pêche venait de chavirer dans les parages de la Chèvre situés à 2 milles environ de l'endroit oà Talarmin se trouvait, A cette heure le temps, qui jusqu'alors était beau, changea subitement : un fort grain de nord-ouest assaillit tous les bateaux (et ils étaient nombreux) qui louvoyaient dans les parages du Four et de l'île d'Yock, la plupart des équipages s'empressèrent d'amener leurs voiles de façon à résister plus aisément au coup de temps qui s'annonçait : c'est à ce moment précis qu'arriva l'accident relaté plus haut.

Talarmin, dans l'impossibilité avec son bateau chargé de se rendre sur les lieux du naufrage, força la toile pour parvenir le plus tôt possible à terre et lancer le canot de sauvetage qui, à 8 h 30, quittait la maison-abri et se dirigeait à toute vitesse sur le lieu de l'accident avec un ris dans chaque voile : le vent soufflait en tempête du nord-nord-ouest, accompagné de grains qui rendaient les recherches beaucoup plus difficiles, et la mer était complètement démontée.

Le patron, ne voyant rien à la surface, prit le parti de faire de nombreuses bordées de façon à faire un certain cercle et à trouver quelque épave du bateau chaviré.

Ce bateau était monté par Brénéol (Achille), canotier et un matelot : le patron Talarmin eut beau fouiller les environs du lieu du naufrage sur 1 mille de rayon, il ne vit rien ; il revint vers 11 heures du matin et fut obligé, par la mer démontée et le vent qui faisait rage, de mettre le canot "Marie Russe" dans le port d'Argenton.

Vers 4 heures de l'après-midi, le canot "Marie Russe" appareillait de nouveau, un bateau ayant été signalé en perdition dans la baie de Porz-Ar-Roch, située à l'extrémité de la presqu'île Saint-Laurent ; il s'agissait du bateau "Fine" du port de Saint-Pabu, patron Pailler.

La mer était furieuse, le temps affreux, tempête déchaînée du nord accompagnée de grains qui empêchaient toute vue. Le vent soufflait avec une telle force et la pluie faisait tellement rage que Talarmin a été obligé, en plein milieu du chenal d'accès, de faire mouiller une ancre et en même temps de faire ramer de façon à pouvoir soutenir l'assaut furieux des éléments déchaînés sans quoi force lui aurait été de laisser parier vent arrière et de fuir devant un temps contre lequel il ne pouvait pas lutter, faisant cap nord-nord-ouest en ce moment.

Aussitôt le grain passé, et la furie du temps un peu calmée, le patron fit route dans la direction de l'endroit oà se trouvait le bateau en perdition. Avec mille peines le canot "Marie Russe" put arriver à cet endroit qui se trouvait au milieu des brisants et le patron avant de s'engager dans la passe crut prudent de faire mouiller une ancre de façon à pouvoir résister plus efficacement à la fureur de la tempête; en même temps il laissait arriver sur le bateau de Saint-Pabu dont il sauvait les deux hommes qui s'attendaient à une mort certaine ; le gouvernail avait été enlevé d'un coup de mer et les avirons avec un temps pareil ne servaient à rien, le vent portant en plein à la côte.

Le canot "Marie Russe" arriva au port d'Argenton vers 8 heures du soir. L'équipage exténué de fatigue, transi de froid et entièrement mouillé, ramenait les hommes sauvés qui, sous le coup de l'émotion ne savaient comment remercier ceux à qui ils devaient la vie, car nul doute que, si le bateau de sauvetage n'était pas allé jusqu'à eux, ces malheureux hommes auraient été broyés à la côte ou seraient morts d'inanition.

A il heures du matin, le 7 courant, comptant toujours trouver quelques restes des malheureux disparus, le patron Talarmin reprit encore la mer.

Malheureusement toutes les recherches effectuées furent vaines et à 4 heures du soir le canot "Marie Russe" rentrait à sa maison-abri après avoir victorieusement lutté contre la mer démontée et le vent en furie. Comme toujours l'équipage du canot de sauvetage accomplit tout son devoir, insouciant du danger et ne voyant que le devoir à accomplir.

Première Sortie
Patron: Talarmin Jacques.
Sous-Patron :
Canotiers Le Dall (Prosper), Le Dall (Auguste),
Gourmel (François), Quivoron (Hervé),
Le Borgne (François), Coatanéa (jean),
Talarmin (joseph), Jaouen (Jean-Marie),
Corolleur (Claude), Paul (jules),
Héliès (Alexandre).
Deuxième Sortie
Patron: Talarmin Jacques.
Sous-Patron :
Canotiers Guéna (joseph), Vidamant (Rolland),
Vidamant (Yves), Perhirin (Michel),
Provost (Yves), Quivoron (Hervé),
Kerjeun (François), Déniel (Olivier),
Jaouen (François), Jaouen (jean-Marie), Richard (Jean-Marie)
Richard (Jean-Marie).
Troisième Sortie
Patron: Talarmin Jacques.
Sous-Patron :
Canotiers Guéna (joseph), Vidamant (Rolland),
Vidamant (Yves), Richard (jean-Marie),
Perhirin (Michel), Provost (Yves),
Le Dall (Auguste), Dénie] (Olivier),
Héliès (Alexandre), Gourme] (François),
Kerjean (François).